À propos de Victor Delestre
'As soon as humans were humans, objects were here. They are the very workmate, twin of humanity. Never human was without it. Maybe we could say human was because of objects. Humans are materialists, inherently, they are materials too, they are subjects and objects too.
From the moment he understood this (maybe randomly made) object could help him hunting, drawing, cutting, etc, he never stopped producing and thinking and producing and thinking about himself, about objects.'
Victor Delestre
L’anatomiste et biologiste hollandais Ludwig Bolk avançait, dans Le problème de l’anthropogenèse publié en 1926, des hypothèses quant à l’apparition de l’espèce humaine nous permettant d’envisager le geste artistique sous un angle nouveau. Pour lui l’homme découlerait certes du primate, mais il serait telle l’évolution d’une malformation fœtale de ce dernier. Ce serait comme si l’espèce humaine avait pour origine un bébé primate ayant eu par déformation la capacité de se reproduire ; reproduction ayant conduit, au fil de diverses évolutions, à la constitution de notre classe. Si nous spéculons sur cette hypothèse, nous pouvons alors nous envisager comme des êtres de la pleine puissance, des êtres ayant des caractéristiques puériles nous permettant d’être constamment dans un état d’ouverture au possible, dans une capacité d’adaptation permanente. L’espèce humaine serait ainsi une espèce en constante recherche de sa définition, une espèce qui aurait alors placé son essence dans l’arraisonnement du monde par la nomination (au double sens de nommer quelque chose et de lui définir un usage). Une espèce bloquée à l’état de germe, ne sachant à quoi elle est promise. Face à cette indéfinition, face à cette puissance totale liée au choix du devenir, à cette potentialité, l’humain trouverait dans la pratique artistique la capacité d’œuvrer par le désœuvrement, c’est-à-dire sa capacité de mettre face à lui à la fois sa matérialité et son investigation. Il trouverait la capacité de produire des œuvres habitées par cette puissance tel un espace laissé vacant par la possibilité. L’œuvre d’art serait le miroir de l’homme, à la fois puissance en acte (l’œuvre elle-même, sa matérialité) et puissance de projection, puissance d’absence (sa vacuité nous permettant de nous y projeter, de l’aimer, de la fantasmer).
C’est dans ce contexte d’analyse que nous regardons le travail de l’artiste français Victor Delestre. Nous le comprenons comme extrêmement lié à l’idée de socle, dans le sens du soccus latin, ces petites sandales que portaient les acteurs de la comédie antique. Le socle, comme l’idée donc d’un support qui suspendrait quelque chose (un objet, une idée, un usage) au dessus du sol afin de lui faire perdre toute efficience, toute puissance, pour mieux pouvoir le mettre en distance, en rire et le redéfinir. Nous pouvons requestionner notre rapport au monde au sein même de ce mouvement consistant à rendre à portée de main ce que la modernité et le contemporain ont obstrué et prédéterminé. Nous interrogeant sur les paroles de l’artiste : « Lorsque les mains ont saisi un ou deux objets, elles doivent se libérer afin de pouvoir en saisir d’autres, ou faire usage de l’un d’eux. Si l’objet est consommé et donc obsolète il est jeté, cependant si il est encore consommable, jugé encore efficient, il est conservé et posé quelque part où il se distinguera de la masse des autres objets et formes », nous envisageons alors l’acte de suspension comme point d’entrée dans son travail. L’objet d’art est l’objet suspendu par excellence car uniquement tourné vers le futur (comme mémoire, profit spéculatif, don etc). Penser le support comme œuvre à part entière, c’est questionner le système de mémorisation et de spéculation lui-même, c’est interroger notre contemporain en se demandant si ce qui compte le plus n’est pas finalement ce qui soutient l’objet présenté et glorifié.
Parcourant l’ensemble des productions de Victor Delestre, nous contemplons un paravent planté au milieu d’une pelouse et troué tel une architecture extra-domestique, nous regardons des tasses à café sur pied, prête à s’enfuir à la nuit venue, nous voyons des recherches de nouveaux chiffres, des supports envisagés comme parties intégrantes de l’œuvre, nous devinons des visages à peine tracé, des oreilles et des poitrines qui poussent sur des plaques de bois. Si l’humain est un foetus évolué, alors la parole est chez lui un accident. Nous ne nous taisons pas entre deux mots mais sommes du muet amoureux de notre capacité accidentelle de parole. Nous sommes profondément enfantins, et, alors que l’italien place l’infante au bas de la chaîne sociale et que l’espagnol la place tout en haut, Victor Delestre attaquerait ce statut enfantin de l’humain de front. L’in-fari est celui qui ne peut parler, il est celui qui, ne pouvant communiquer, cherchera à transformer les chiffres en lettre afin d’au-moins pouvoir compter. L’infans que nous trouvons comme essentiel dans le travail de l’artiste français serait celui nous permettant de questionner pleinement l’art en son origine, quelque part entre la poiesisgrecque et l’ars latin, comme une activité permettant de prendre en compte le monde afin de l’habiter. Il s’agit alors de rassembler des éléments, les fragmenter puis les ré-assembler afin de proposer des formes nouvelles. Tel un jeu primaire, telle une activité de primate, les sculptures de Victor Delestre nous semblent toujours loin du réel bien que proche de l’usage. Rentrant d’une journée de travail harassante, l’adulte fort de sa croyance en son essence sérieuse, stable et raisonnée peut se servir de ces plans inclinés pour poser sa baguette de pain et, pourquoi pas suspendre son manteau à cette oreille qui dépasse. Les œuvres de l’artiste, en étant proche de l’outil et en arborant parfois des fragments de corps humains, nous permettent de les envisager comme des miroirs de notre état. Un état éternellement naïf, mensongé, arnaqueur et violent, mais chargé de potentialité, de puissance et de magie.
De cette infantilité fondamentale, nous arrivons, alors que ces vases, ces bustes et ces supports nous font face, à un constat d’unicité et d’esseulement quasi rituel et glorieux. Nous envisageons l’ensemble de la production de Victor Delestre comme parodique. L’ensemble constitué des œuvres-chargeurs pour aspirateurs Dyson et de celles de la série « l’homme invisible » (porte baguette, porte cravate, lampes) sont des augmentations de produits de masse. Tout en maintenant l’objet dans une potentielle puissance d’usage, l’artiste questionne le statut décoratif de l’œuvre d’art en semblant poser la question de sa dignité, c’est à dire ce qui lui confère un statut décoratif et glorieux. Ici réside l’intérêt artistique de cette parodie qui ne peut être envisagée autrement que comme un souffle de vie habitant des objets figés par leur destinée marchande. Victor Delestre, par ce geste, renverse la responsabilité moderne, celle de l’obligation de rendre compte de ses actes, en responsabilité première, originaire, celle du droit de réponse à une parole donnée. Il sort l’objet marchand de son étagère pour lui donner vie et, comme l’humain, lui ôter toute prédestination. Son travail et son intérêt pour ces formes de pseudo-vestiges nous font penser à des pratiques archéologiques. Creusant l’état constamment chancelant, burlesque, de l’être humain, Victor Delestre déterre des formes semblant issues d’une autre époque, des formes uniques, éternels fragments d’un ensemble inaccessible. Ce statut d’unicité éclatée nous ramène à l’idée d’idiotie, dans sa forme antique d’idios, de ce qui est son propre référent. Chacune des œuvres de l’artiste semble revendiquer son unicité vitale, quitte à tendre vers l’animisme absurde. Cette unicité de l’objet est pourtant paradoxale dans le travail de l’artiste qui aime à agir en collaboration, il fait partit du duo Deborah Bowmann et du trio Horrible Bise. Son travail ne peut se faire sans un dialogue avec l’autre, et pourtant revendique une singularité politique. Ceci est peut-être un cryptage nous informant que la singularité ne peut advenir que d’un dialogue préalable. Par cet ensemble de gestes aussi fondamentaux qu’amusants, Victor Delestre tend à redéfinir son rapport aux objets, qui, une fois que nous les avons trempé dans une goutte d’animisme, semblent s’éveiller, guerroyer et faire la fête à l’instar des humains qui les contemplent.
Jean-Baptiste Carobolante, 2016
'As soon as humans were humans, objects were here. They are the very workmate, twin of humanity. Never human was without it. Maybe we could say human was because of objects. Humans are materialists, inherently, they are materials too, they are subjects and objects too.
From the moment he understood this (maybe randomly made) object could help him hunting, drawing, cutting, etc, he never stopped producing and thinking and producing and thinking about himself, about objects.'
Victor Delestre
L’anatomiste et biologiste hollandais Ludwig Bolk avançait, dans Le problème de l’anthropogenèse publié en 1926, des hypothèses quant à l’apparition de l’espèce humaine nous permettant d’envisager le geste artistique sous un angle nouveau. Pour lui l’homme découlerait certes du primate, mais il serait telle l’évolution d’une malformation fœtale de ce dernier. Ce serait comme si l’espèce humaine avait pour origine un bébé primate ayant eu par déformation la capacité de se reproduire ; reproduction ayant conduit, au fil de diverses évolutions, à la constitution de notre classe. Si nous spéculons sur cette hypothèse, nous pouvons alors nous envisager comme des êtres de la pleine puissance, des êtres ayant des caractéristiques puériles nous permettant d’être constamment dans un état d’ouverture au possible, dans une capacité d’adaptation permanente. L’espèce humaine serait ainsi une espèce en constante recherche de sa définition, une espèce qui aurait alors placé son essence dans l’arraisonnement du monde par la nomination (au double sens de nommer quelque chose et de lui définir un usage). Une espèce bloquée à l’état de germe, ne sachant à quoi elle est promise. Face à cette indéfinition, face à cette puissance totale liée au choix du devenir, à cette potentialité, l’humain trouverait dans la pratique artistique la capacité d’œuvrer par le désœuvrement, c’est-à-dire sa capacité de mettre face à lui à la fois sa matérialité et son investigation. Il trouverait la capacité de produire des œuvres habitées par cette puissance tel un espace laissé vacant par la possibilité. L’œuvre d’art serait le miroir de l’homme, à la fois puissance en acte (l’œuvre elle-même, sa matérialité) et puissance de projection, puissance d’absence (sa vacuité nous permettant de nous y projeter, de l’aimer, de la fantasmer).
C’est dans ce contexte d’analyse que nous regardons le travail de l’artiste français Victor Delestre. Nous le comprenons comme extrêmement lié à l’idée de socle, dans le sens du soccus latin, ces petites sandales que portaient les acteurs de la comédie antique. Le socle, comme l’idée donc d’un support qui suspendrait quelque chose (un objet, une idée, un usage) au dessus du sol afin de lui faire perdre toute efficience, toute puissance, pour mieux pouvoir le mettre en distance, en rire et le redéfinir. Nous pouvons requestionner notre rapport au monde au sein même de ce mouvement consistant à rendre à portée de main ce que la modernité et le contemporain ont obstrué et prédéterminé. Nous interrogeant sur les paroles de l’artiste : « Lorsque les mains ont saisi un ou deux objets, elles doivent se libérer afin de pouvoir en saisir d’autres, ou faire usage de l’un d’eux. Si l’objet est consommé et donc obsolète il est jeté, cependant si il est encore consommable, jugé encore efficient, il est conservé et posé quelque part où il se distinguera de la masse des autres objets et formes », nous envisageons alors l’acte de suspension comme point d’entrée dans son travail. L’objet d’art est l’objet suspendu par excellence car uniquement tourné vers le futur (comme mémoire, profit spéculatif, don etc). Penser le support comme œuvre à part entière, c’est questionner le système de mémorisation et de spéculation lui-même, c’est interroger notre contemporain en se demandant si ce qui compte le plus n’est pas finalement ce qui soutient l’objet présenté et glorifié.
Parcourant l’ensemble des productions de Victor Delestre, nous contemplons un paravent planté au milieu d’une pelouse et troué tel une architecture extra-domestique, nous regardons des tasses à café sur pied, prête à s’enfuir à la nuit venue, nous voyons des recherches de nouveaux chiffres, des supports envisagés comme parties intégrantes de l’œuvre, nous devinons des visages à peine tracé, des oreilles et des poitrines qui poussent sur des plaques de bois. Si l’humain est un foetus évolué, alors la parole est chez lui un accident. Nous ne nous taisons pas entre deux mots mais sommes du muet amoureux de notre capacité accidentelle de parole. Nous sommes profondément enfantins, et, alors que l’italien place l’infante au bas de la chaîne sociale et que l’espagnol la place tout en haut, Victor Delestre attaquerait ce statut enfantin de l’humain de front. L’in-fari est celui qui ne peut parler, il est celui qui, ne pouvant communiquer, cherchera à transformer les chiffres en lettre afin d’au-moins pouvoir compter. L’infans que nous trouvons comme essentiel dans le travail de l’artiste français serait celui nous permettant de questionner pleinement l’art en son origine, quelque part entre la poiesisgrecque et l’ars latin, comme une activité permettant de prendre en compte le monde afin de l’habiter. Il s’agit alors de rassembler des éléments, les fragmenter puis les ré-assembler afin de proposer des formes nouvelles. Tel un jeu primaire, telle une activité de primate, les sculptures de Victor Delestre nous semblent toujours loin du réel bien que proche de l’usage. Rentrant d’une journée de travail harassante, l’adulte fort de sa croyance en son essence sérieuse, stable et raisonnée peut se servir de ces plans inclinés pour poser sa baguette de pain et, pourquoi pas suspendre son manteau à cette oreille qui dépasse. Les œuvres de l’artiste, en étant proche de l’outil et en arborant parfois des fragments de corps humains, nous permettent de les envisager comme des miroirs de notre état. Un état éternellement naïf, mensongé, arnaqueur et violent, mais chargé de potentialité, de puissance et de magie.
De cette infantilité fondamentale, nous arrivons, alors que ces vases, ces bustes et ces supports nous font face, à un constat d’unicité et d’esseulement quasi rituel et glorieux. Nous envisageons l’ensemble de la production de Victor Delestre comme parodique. L’ensemble constitué des œuvres-chargeurs pour aspirateurs Dyson et de celles de la série « l’homme invisible » (porte baguette, porte cravate, lampes) sont des augmentations de produits de masse. Tout en maintenant l’objet dans une potentielle puissance d’usage, l’artiste questionne le statut décoratif de l’œuvre d’art en semblant poser la question de sa dignité, c’est à dire ce qui lui confère un statut décoratif et glorieux. Ici réside l’intérêt artistique de cette parodie qui ne peut être envisagée autrement que comme un souffle de vie habitant des objets figés par leur destinée marchande. Victor Delestre, par ce geste, renverse la responsabilité moderne, celle de l’obligation de rendre compte de ses actes, en responsabilité première, originaire, celle du droit de réponse à une parole donnée. Il sort l’objet marchand de son étagère pour lui donner vie et, comme l’humain, lui ôter toute prédestination. Son travail et son intérêt pour ces formes de pseudo-vestiges nous font penser à des pratiques archéologiques. Creusant l’état constamment chancelant, burlesque, de l’être humain, Victor Delestre déterre des formes semblant issues d’une autre époque, des formes uniques, éternels fragments d’un ensemble inaccessible. Ce statut d’unicité éclatée nous ramène à l’idée d’idiotie, dans sa forme antique d’idios, de ce qui est son propre référent. Chacune des œuvres de l’artiste semble revendiquer son unicité vitale, quitte à tendre vers l’animisme absurde. Cette unicité de l’objet est pourtant paradoxale dans le travail de l’artiste qui aime à agir en collaboration, il fait partit du duo Deborah Bowmann et du trio Horrible Bise. Son travail ne peut se faire sans un dialogue avec l’autre, et pourtant revendique une singularité politique. Ceci est peut-être un cryptage nous informant que la singularité ne peut advenir que d’un dialogue préalable. Par cet ensemble de gestes aussi fondamentaux qu’amusants, Victor Delestre tend à redéfinir son rapport aux objets, qui, une fois que nous les avons trempé dans une goutte d’animisme, semblent s’éveiller, guerroyer et faire la fête à l’instar des humains qui les contemplent.
Jean-Baptiste Carobolante, 2016
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Forrest Gump, or the Great Ignorant
Comments about Forrest Gump, by Robert Zemeckis1
"When i was a baby mama named me after the great civil war hero general Nathan Bedford Forrest. She said we was related to him in some way. What he did was he started up this club called the Ku Klux Klan. They'd dress up in their robes and their bed sheets and act like a bunch of ghosts or spooks or something. They'd even put bed sheets on their horses and ride around. And anyway that's how i got my name, Forrest Gump. Mama said, the Forrest part was to remind me that sometimes we all do things that, well, just don't make no sense. "2
So begin the story tells Forrest Gump about his own life, from childhood to adulthood to the different people sitting beside him at the bus stop where he waits. This section gives the general tone of the film, but also presents Forrest's way of being in the world.
Beneath his simple-minded way of being, through these first sentences he unveils some characteristics making him a surprising character- a trait which he does not seem to be fully aware of.
Through this text and the re-reading of this film, I will try to raise different characteristics that make Forrest Gump (the film and the character taken together) an original and paradoxical figure of the relationship to History but also a peculiar figure of the « great ignorance ».
On the first hand we can easily see in the section quoted above a paradoxical and purely subjective reading of history (and this is done in a non-conscious way by Forrest), the figure of the descendent inheriting without wishing it and despite himself of a painful and unenviable past. However, and that is what is interesting me, Forrest does not know a great deal about this past, he makes himself a quite blurred and childish idea of it, he seems to be over History, he is not confused by the weight that his name carries because he does not know. Therefore he is included in history but without knowing the truth of it, and most of all he never asked anything. The choice of a Ku Klux Klan leader's name reinforces even more this parodic idea of the non-choice of the descendent. Despite him, he carries like a brand a hateful episode of North-American history, but once again he does not realize it. Anyone who saw the film Forrest Gump thinks about this line « Run Forrest Run!!! » shouted by his friend Jenny, suggesting him to flee the threats of young guys. A paradoxical and almost ironical injunction because the young Gump is then seriously disabled, wearing leg prosthesis. He begins to run, not without difficulties, but little by little his armatures fall and he runs, maintaining a good distance from his pursuers.
This scene (in the first minutes of the film) somehow characterises what Forrest will do throughout his life (and the film): a kind of running, a crossing through the most diverse activities but also the most notorious events from North-American History of the second half of 20th century. From his table tennis player career, through the (unintentional) heroism he has shown during war in Vietnam, to the creation and the management of the most famous shrimp fishing company, he crosses over time and space, getting used to different situations and activities in which he always excels. He is a kind of supreme man without qualities, but from that he is also the man with all possible adaptation qualities, and so, for every situation. He is an incompetent able to do (almost) everything. He is somehow a parodic figure of destiny, the triumph of randomness: all the activities, persons and things he meets up with, it is according to the randomness of his running. His life (as le Coup de Dés) is a succession of work, of specific tasks interrupted by running, empty moments, an active desoeuvrement : he is a parody of the historical contingency, but also of the capitalist model, of the self-made-man.
He crosses over this History but he also makes it. He not only appears many times alongside key figures of the time but he is also behind numerous noteworthy facts. He provides inspiration to Elvis Presley (unknown at the time) for his famous footwork, he denounces despite himself the Watergate affair by calling the housekeeper of his hostel because « the light from the building in front » prevents him from sleeping. He also provides inspiration to John Lennon for his song Imagine. Forrest Gump is therefore deeply included in history, making history but each time despite himself. He is the unknown and forgotten origin of history. But that does not make him a victim, on the contrary, he seems to be simply beyond and below the history he is passing through and making, he is as inside it rather than outside history. The idea of patriotism, of duty and of a historical task doesn’t have a proper place with him. He knows he has to act, but it is more to respond to the need of the here-and-now, of the present moment that he takes action. He never steps back to look at things and events he is acting in, he just does it. He does not seem to feel and perceive the historical gravity (because there maybe is no such thing anymore) but only the earth’s attraction. Forrest Gump is a being of captivation, as an animal fleeing something, he spends his time running, going from one point to another, and so without truly choosing by himself, but according to the historical context and his capacity. When he runs during three years across United-States, it is without any particular reason, and when he stops, it is simply because he is tired. Forrest Gump's figure seems to be emblematic of means without end, acting in a form of gratuity, even if it is done involuntary. To each of his acts corresponds a detachment, a too distant as too close interaction with his object, his trigger. It is actually this thing that serves as a means of differentiation between humans and animals. From an original break of the circle of receptors-desinhibitors which produces humans - that is to say that produces in living beings both boredom (the ability to suspend an immediate relationship toward desinhibitors, the environment) and the Open, which is the possibility to know the being as such and also to build his world. On the other hand, the animal has a relationship of fascination with its environment, it is extremely absorbed by its desinhibitors, without knowing what it is.
The animal bathes into what we call the animal captivation, a state of amazing proximity with things, without unveiling or even veiling of what are these things. A phenomenon which Forrest Gump seems quite close to, in this very direct relationship with things, persons, activities, events he meets, whatever they are. However this does not make him an animal but an other kind of being: into him the human being in the world and the animal captivation are gathering. The split between human and animal strengthens. If he never seems to decide of anything, going from place to place, accident-like, he though loves and looks for Jenny all his life, his childhood friend, with whom he has a child and get married with by the end of the film. The character of Jenny (and the sexual relationship he has with her) but also their child constitute the main reason of Forrest's mysterious running: «What severs—not solves—this secret bond that ties man to life (nature), however, is an element which seems to belong totally to nature but instead everywhere surpasses it: sexual fulfillment»3. It is from the moment he can be with Jenny and their child that Forrest stops running. We can try to perceive into his character something else than these inoffensive and reassuring figures of the simple-minded or the animal-human, but rather the prophetic figure of the great ignorant. In an exegesis of the Pauline's Epistle to the Romans, concerning redemption, Basilides4 tells us:
"God will bring on the whole world the great ignorance, so that every creature may remain in its natural condition and none desire anything contrary to its nature. Thus, all the souls who find themselves in this expanse, whose nature it is to remain immortal in this place alone, will stay here below, knowing nothing other than or better than this expanse; in the regions below there will be no news and no knowledge of the realities above, so that the souls below may not be tormented by desiring impossible things, like fish striving to graze on the hills with the sheep—for such a desire would be their destruction".5
The natural life is therefore abandoned by any spiritual element, it is unsavable, but nevertheless blessed, because it received the great ignorance. It is about a regained animality of man at the end of history, a moment where « darkness and light, matter and spirit, animal life and logos (the articulation of which in the anthropological machine produced the human) are separated forever. But not in order to close themselves in a more impenetrable mystery »6. So Forrest Gump could be considered not as new definition of the relation human-animal, but more as a possible figure of the great ignorance, which lets be the animal and human parts outside of the being, « saved precisely in (his) being unsavable»7, without taking on a historical task, no longer being the place of separations.
Forrest could maybe sit at the messianic banquet of the righteous, a day where the accomplished humanity, humans will be reconciled with their animal nature.
1 Forrest Gump, directed by Robert Zemeckis, Paramount Pictures, 1994
2 idem, 5mn30sec.
3 in Between in The Open, Giorgio Agamben, Stanford, 2004, p.83
4 Basilides was an early gnostic religious teacher in Alexandria, Egypt who taught from 117 to 138 AD, He is believed to have written over two dozen books of commentary on the Christian Gospel (now all lost) entitled Exegetica. He was a disciple of Simon Magus, known as Simon the Magician or Simon the Sorcerer, in Red Flame No. 2 -- Mystery of Mystery: A Primer of Thelemic Ecclesiastical Gnosticism, Tau Apyrion, Berkeley, 1995
5 in Testi gnostici in lingua greca e latina, Mondadori, Milan, 1993, p.72 in Outside of being in The Open, Giorgio Agamben, Stanford, 2004, p.89-90
6 in Outside of being in The Open, Giorgio Agamben, 2004, p.90
7 ibidem, p.92
V.D, 2015
The grave digger successor
Comments about The Sixth Sense by M. Night Shyamalan 1
Even though we can be mainly interested in the shivers provoked by horror films it can be mind blowing to consider this cinematographic genre as carrying specific comments about History and the relation past/present. In the vast majority of these ghost's and spirit's films, the past does its terrific incursion in the peaceful present, turning upside down the lives of its victims. Dead people come back among us. History books re-open themselves and when the past comes back it is quite often an angry and upset past.
If I now focus on the Sixth Sense directed by Night Shyamanlan, it won't be to talk about horror, fear or even cinema but in order to consider the character of Cole Sear (performed by Haley Joel Osment, quite young at the time) as the figure of a singular historical perspective. Going beyond the morbid and frightening aspects of this film, it is possible to express a comment on the being in History, on the being overwhelmed despite itself by a past that he never knew, about a singular figure of the successor
A number of times and in various places, the young Cole sees ghosts « who don't know that they are dead ». In the primary school where he is registered, he sees hanged people from the American Civil War ; in the house where he lives with his mother, he meets children killed by their father ; in the middle of the street, he watches a cyclist who died earlier run over by a car. These ghosts, these dead people appearing to Cole, are beings whose souls cannot rest in peace because the truth was not revealed, no justice was received. They remain beings separated from present time, continuing to wander in the places and times of their death. Only the angst and the irrepressible need for justice rise beyond until they become visible to Cole's eyes.
We can therefore consider this young boy like a being living in a space and a time both situated in between past and present – neither entirely in the past nor really in the present –.
It is a shifted time-space where present events appear suddenly mixed up with past events. According to the places where he is : school, street, his house, he becomes the victim of the ghosts haunting them. He is the only one able to see them but he cannot find the proper words which would allow him to testify an experience that he is continually having.
Therefore, when the teacher asks the students what their school was used for « a century ago », Cole timidly rise his hand to answer that it was used to hang people ; he therefore has to face disturbed expressions : because of his misplaced knowledge, a knowledge not suitable for the child he should be. Then he could be considered as a form of omniscient historian, a total witness of the past in the space and time of the present. He is a being who reconnects with a forgotten, unpleasant, violent past, and so despite himself because he never asked for this embarrassing sixth sense. In this way, he can be considered as the witness of the real witnesses, of those who could not testify in their space and time, those whose speech was deprived by speaking in their stead.
Cole Sear could be considered as the unfortunate successor of the vanquished's History, of the oppressed's History, those we forgot in books and who scarily come back to him to testify, to finally tell their truth. A successor who cannot serenely live in the present, because the relation to the past (from the closest to the furthermost) of his contemporaries is not really clear, and then it is difficult to assume current consequences.
Would this character be a prophetic figure of the successor in our contemporary times? He would certainly be a being pushed, crushed by the weight of History, forced in between the relation he has within the time-space he can access because of his sixth sense and the contemporary time-space in which everybody and he live. This constraint of the being constitutes the impossibility for Cole Sear to have a calm life, ideally absolved from what has been, as the picture of the past and of History constructed by his contemporaries is far from the truth of histories and furthermore constantly perverted.
This finally underlines the impossibility for the character to turn his eyes toward what is to come whose perspective would be the construction of a future role or rather his future position when he has to answer for his close relation to historical events to which he knows the truth, trying to reduce the distortion being undertaken by contemporaneity walking toward History.
Cole Sear appears as the successor giving a grave, sorting out the rubble left behind by his ancestors. Despite himself, his sixth sense obliges him to see what is the basis of the present, and instead of going ahead closing his eyes (this would be a solution for him) he dispenses justice. Rather than constructing on the ruins and the corpses passed on by his ancestors, he makes himself grave digger of the vanquished, of neglected histories so that they might rest in peace.
V.D, 2015
1 The Sixth Sense released in 1999 and distributed by Buena Vista Picture
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Study for an autobiography
Well, I always had this feeling that when you are born it's like you were showing up at a party you were not invited, or like a hair in the soup. This soup would be a very old soup, a thousand and thousand year old soup made from history, knowledges, cultures, experiences, and so on.
We are born, we fall in this, knowing nothing about it, and then we are supposed to live in this soup, to be part of it, to learn, and to become a new ingredient. A quite nice but sometimes indigestible soup.
But still, i was wondering all the time, who did this soup ?
Who selected the ingredients ?
Why this one rather than that one ?
What about memory lapse ?
Can we really remember about every single fact ?
What about those who were dead and could not talk ?
What about selective history ?
Why do we celebrate this thing more than that one ?
What about histories in the History ?
and also :
What makes that we believe, trust, something?
What about this crazy and voracious will for aesthetics ?
What should i believe ?
Why do i like sunsets ?
Why are you laughing ?
Many questions. Many possible answers.
Then i was thinking « this is definitely not a neutral soup », and « hard to have a neutral position too ».
Despite this apparent liquid and quiet nature, this is a constructed soup, and that was a bit strange for me to learn and study without knowing from where all these informations were, but i was thinking, yep, that i had not too many choices unless i would live in the forest like Victor de l'Aveyron.
So what relations will i maintain with this soup ? How will i take part in that party ? Will i dance ? What dance ?
How can we take position vis-à-vis this unbelievable mythological machine that is culture ? Should i care ? (Everything makes meaning)
Then, I decided to think about this in term of celebration and usage. Then i began searching on the origins.
I mean i looked for the old greec and latin etymologies for famous, glorious, celebrate...and also parody. Keeping thinking about what makes something famous, whatever it's a spoon, a god or a tomato, keeping thinking what makes that we celebrate, that we believe something. That was deep and interesting, i was wondering about what wasn't famous yet...
What i was using and the way i was using it were the conditions of my participation in this old party. The fact that i use things involves that i celebrate them.
The more we use something, the more we celebrate it, the more it is famous, the more it's part of our culture (of course it takes time).
But what the point if we can only celebrate something, making it more and more famous ?
Are we essentially here to celebrate positively things ?
To use objects, ideas, persons like we were tought to use them ? Are we monks ?
To me, visual arts, music, dance, literature, design, cinema were the fields of celebration : auto-celebration, and celebration of the contemporary, celebration of past, but not only a pure and positive celebration, but also with the aim of deconsecrate something, to make it different, to open its meanning, aspect, fonction, identity, in between homage and destruction.
Behind my work, there is 8 years of theater and a role in a quite bad french tv show. That was a really good and weird experience.
I was really sure i would be a comedian, or something like this. I finally decided that i won't be only a comedian, playing the roles of others. In fact, i'm interested in the idea of the stage, the scenery. Stage is the space and time where something, someone speaks, plays a role, is under the spotlights, tells a story, facing gravity.
Somewhere, I think it's a bit the same with objects, set on tables, on pedestals, or words in books.
Tables, stages, screens, papers, pedestals, are the places where things, living or not, are getting famous, are standing up, raising above other things, whatever in fictionnal or documentary purposes, telling something, whatever ambiguous or obvious, with words or not.
That's the point. I'm interested in that very moment where reality is soflty moving, or being moved toward fiction, furthermore mythology.
I'am really impressed by geological strata, because of gravity effect and time everything is getting covered, as theater sceneries getting covered, one after one other. It's a natural hierarchy, kind of. The oldest is the deepest, but sometimes it moves, and you can find old dinosaur bones in your garden. Then historians, with the help of geologists, archeologists have to say what was this, what was that. What a job. It's not mine.
But, i guess one of my very behind work stuff, is this idea of facing what makes history, what is famous, known, framed. I like to disturb, to try to shake up that layers, that stratas, not only in the historical or geological but also that hierarchical layers, identity layers, between something and some other.
Why are we still looking for seduction ? Why do we need to seduce ?
More than an evocation of famous or infamous stuffs i do practise invocation, a quite secular one, of dead or living things.
That's what i also do in music, with my bands. Invoking dead and living things. It's about ghosts and things too fresh to be digested sometimes.
V.D, 2014
Well, I always had this feeling that when you are born it's like you were showing up at a party you were not invited, or like a hair in the soup. This soup would be a very old soup, a thousand and thousand year old soup made from history, knowledges, cultures, experiences, and so on.
We are born, we fall in this, knowing nothing about it, and then we are supposed to live in this soup, to be part of it, to learn, and to become a new ingredient. A quite nice but sometimes indigestible soup.
But still, i was wondering all the time, who did this soup ?
Who selected the ingredients ?
Why this one rather than that one ?
What about memory lapse ?
Can we really remember about every single fact ?
What about those who were dead and could not talk ?
What about selective history ?
Why do we celebrate this thing more than that one ?
What about histories in the History ?
and also :
What makes that we believe, trust, something?
What about this crazy and voracious will for aesthetics ?
What should i believe ?
Why do i like sunsets ?
Why are you laughing ?
Many questions. Many possible answers.
Then i was thinking « this is definitely not a neutral soup », and « hard to have a neutral position too ».
Despite this apparent liquid and quiet nature, this is a constructed soup, and that was a bit strange for me to learn and study without knowing from where all these informations were, but i was thinking, yep, that i had not too many choices unless i would live in the forest like Victor de l'Aveyron.
So what relations will i maintain with this soup ? How will i take part in that party ? Will i dance ? What dance ?
How can we take position vis-à-vis this unbelievable mythological machine that is culture ? Should i care ? (Everything makes meaning)
Then, I decided to think about this in term of celebration and usage. Then i began searching on the origins.
I mean i looked for the old greec and latin etymologies for famous, glorious, celebrate...and also parody. Keeping thinking about what makes something famous, whatever it's a spoon, a god or a tomato, keeping thinking what makes that we celebrate, that we believe something. That was deep and interesting, i was wondering about what wasn't famous yet...
What i was using and the way i was using it were the conditions of my participation in this old party. The fact that i use things involves that i celebrate them.
The more we use something, the more we celebrate it, the more it is famous, the more it's part of our culture (of course it takes time).
But what the point if we can only celebrate something, making it more and more famous ?
Are we essentially here to celebrate positively things ?
To use objects, ideas, persons like we were tought to use them ? Are we monks ?
To me, visual arts, music, dance, literature, design, cinema were the fields of celebration : auto-celebration, and celebration of the contemporary, celebration of past, but not only a pure and positive celebration, but also with the aim of deconsecrate something, to make it different, to open its meanning, aspect, fonction, identity, in between homage and destruction.
Behind my work, there is 8 years of theater and a role in a quite bad french tv show. That was a really good and weird experience.
I was really sure i would be a comedian, or something like this. I finally decided that i won't be only a comedian, playing the roles of others. In fact, i'm interested in the idea of the stage, the scenery. Stage is the space and time where something, someone speaks, plays a role, is under the spotlights, tells a story, facing gravity.
Somewhere, I think it's a bit the same with objects, set on tables, on pedestals, or words in books.
Tables, stages, screens, papers, pedestals, are the places where things, living or not, are getting famous, are standing up, raising above other things, whatever in fictionnal or documentary purposes, telling something, whatever ambiguous or obvious, with words or not.
That's the point. I'm interested in that very moment where reality is soflty moving, or being moved toward fiction, furthermore mythology.
I'am really impressed by geological strata, because of gravity effect and time everything is getting covered, as theater sceneries getting covered, one after one other. It's a natural hierarchy, kind of. The oldest is the deepest, but sometimes it moves, and you can find old dinosaur bones in your garden. Then historians, with the help of geologists, archeologists have to say what was this, what was that. What a job. It's not mine.
But, i guess one of my very behind work stuff, is this idea of facing what makes history, what is famous, known, framed. I like to disturb, to try to shake up that layers, that stratas, not only in the historical or geological but also that hierarchical layers, identity layers, between something and some other.
Why are we still looking for seduction ? Why do we need to seduce ?
More than an evocation of famous or infamous stuffs i do practise invocation, a quite secular one, of dead or living things.
That's what i also do in music, with my bands. Invoking dead and living things. It's about ghosts and things too fresh to be digested sometimes.
V.D, 2014
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L'héritier fossoyeur
Commentaires sur le Sixième sens de M. Night Shyamalan 1
Même si l'on peut être principalement intéressé par les frissons que procurent les films d'épouvante et d'horreur, il peut être éblouissant de considérer ces différents genres cinématographiques comme porteurs d'un commentaire sur l'Histoire et sur le rapport passé/présent. Dans la grande majorité de ces films de fantômes ou de revenants, le passé fait son épouvantable intrusion dans le paisible présent, mettant sans dessus-dessous la vie de ses victimes. Les morts reviennent parmis nous. Les livres d'histoires se ré-ouvrent. Et le plus souvent lorsque ce passé revient, c'est un passé en colère, un passé contrarié.
Si je me tourne à présent vers le Sixième sens de Night Shyamalan ce n'est donc pas pour parler d'épouvante, d'horreur ou bien même de cinéma mais afin de considérer le personnage de Cole Sear (interprété par Haley Joel Osment) comme figure d'une perspective historique singulière. En dépassant le caractère morbide et effrayant de ce film, il est possible de traduire un commentaire sur l'être dans l'Histoire, sur l'être harcelé malgré lui par un passé qu'il n'a pas connu, sur l'héritier.
A plusieurs reprises et en différents lieux le jeune Cole voit des fantômes « qui ne savent pas qu'ils sont morts ». C’est ainsi qu’il voit dans l'école primaire où il est inscrit, des pendus de l'époque de la Révolution américaine, dans la maison où il réside avec sa mère, des enfants abattus par leur père, ou encore en pleine rue, une cycliste qui s'est faite écraser un peu plus tôt. Ces fantômes, ces morts qui apparaissent à Cole, sont des êtres dont l'âme ne peut reposer en paix car une vérité n'a pas été révélée, justice n'a pas été faite. Ils demeurent des êtres qui, séparés du présent, continuent d'errer en lieux et temps de leurs morts ; seuls la colère et le besoin irrépressible de justice se diffusent au-delà et jusqu’à l’apparition aux yeux d’un enfant.
On peut alors considérer ce jeune garçon comme un être vivant dans un espace et un temps placés entre passé et présent – ni entièrement dans le passé ni vraiment dans le présent –. Il s’agit d’un espace-temps déplacé où surgissent événements du présent mélangés aux événements du passé. En fonction des lieux où il se trouve : l'école, la rue, sa maison, il devient la victime de l'apparition des fantômes qui les hantent et qu’il est le seul à pouvoir voir sans trouver les mots qui lui permettraient de témoigner justement de l’expérience qu’il ne cesse de faire. Ainsi, lorsque le professeur demande aux élèves à quoi servait leur école « il y a un siècle », Cole lève timidement la main pour répondre que l’on y pendait les gens ; il affronte alors un regard dérangé par une connaissance déplacée, une connaissance qui ne convient pas à l’enfant qu’il devrait être. Il pourrait être alors perçu comme une forme d'historien omniscient, un témoin total du passé des lieux. Un être qui renouerait avec un passé oublié, douloureux, violent et ce malgré lui, car il n’a jamais voulu être doté de ce sixième sens embarrassant. Il est alors le témoin des vrais témoins, de ceux qui n'ont pas pu témoigner en leur espace et temps, de ceux à qui on a enlevé la parole en parlant à leur place.
Ainsi, Cole Sear peut être considéré comme le malheureux héritier de l'Histoire des vaincus, de l’histoire des opprimés, de ceux que l’on a oublié dans les livres et qui se manifestent à lui pour témoigner aujourd’hui pour enfin livrer leur vérité. Un héritier qui ne peut pas vivre sereinement dans le présent, tant le rapport au passé (du plus proche au plus lointain) de ses contemporains ne relève d’aucune clarté et de la difficulté d’en assumer les conséquences présentes.
Ce personnage serait-il alors une figure prophétique de l'héritier de notre époque contemporaine ? Il s’agit certainement d’un être acculé, écrasé par le poids de l'Histoire, contraint par le rapport tenu entre l’espace-temps auquel il a accès par son sixième sens et l’espace-temps du contemporain dans lequel il vit. Cette contrainte de l’être signe vraisemblablement pour Cole Sear, l’impossibilité d’une vie sereine idéalement dégagée de ce qui a été, tant l’image du passé, de l'Histoire que se fabrique le contemporain est éloigné de la vérité des histoires et est perverti continuellement. Cela souligne finalement l’impossibilité pour le personnage de diriger son regard vers un à venir dont la perspective serait la construction d’un rôle futur ou plutôt, de sa future place lorsqu’il doit répondre de son rapport étroit aux événements historiques, dont il connaît la vérité, en tentant de réduire la distorsion qu’effectue la contemporanéité en marche sur l’Histoire.
Cole Sear apparaît alors comme un héritier qui offre une sépulture, qui met de l'ordre dans les décombres que lui ont laissé ses aïeuls. Malgré lui, son sixième sens l'oblige à voir sur quoi se fonde le présent, et au lieu de le poursuivre en fermant les yeux (car là serait la solution pou lui) il rend justice. Plutôt que de construire sur les ruines et les cadavres que lui ont transmis ses aïeuls, il se fait fossoyeur des vaincus, des histoires négligées pour leur permettre le repos.
1 Sixième sens sorti en 1999, distribué par Buena Vista Pictures
V.D. 2013
Commentaires sur le Sixième sens de M. Night Shyamalan 1
Même si l'on peut être principalement intéressé par les frissons que procurent les films d'épouvante et d'horreur, il peut être éblouissant de considérer ces différents genres cinématographiques comme porteurs d'un commentaire sur l'Histoire et sur le rapport passé/présent. Dans la grande majorité de ces films de fantômes ou de revenants, le passé fait son épouvantable intrusion dans le paisible présent, mettant sans dessus-dessous la vie de ses victimes. Les morts reviennent parmis nous. Les livres d'histoires se ré-ouvrent. Et le plus souvent lorsque ce passé revient, c'est un passé en colère, un passé contrarié.
Si je me tourne à présent vers le Sixième sens de Night Shyamalan ce n'est donc pas pour parler d'épouvante, d'horreur ou bien même de cinéma mais afin de considérer le personnage de Cole Sear (interprété par Haley Joel Osment) comme figure d'une perspective historique singulière. En dépassant le caractère morbide et effrayant de ce film, il est possible de traduire un commentaire sur l'être dans l'Histoire, sur l'être harcelé malgré lui par un passé qu'il n'a pas connu, sur l'héritier.
A plusieurs reprises et en différents lieux le jeune Cole voit des fantômes « qui ne savent pas qu'ils sont morts ». C’est ainsi qu’il voit dans l'école primaire où il est inscrit, des pendus de l'époque de la Révolution américaine, dans la maison où il réside avec sa mère, des enfants abattus par leur père, ou encore en pleine rue, une cycliste qui s'est faite écraser un peu plus tôt. Ces fantômes, ces morts qui apparaissent à Cole, sont des êtres dont l'âme ne peut reposer en paix car une vérité n'a pas été révélée, justice n'a pas été faite. Ils demeurent des êtres qui, séparés du présent, continuent d'errer en lieux et temps de leurs morts ; seuls la colère et le besoin irrépressible de justice se diffusent au-delà et jusqu’à l’apparition aux yeux d’un enfant.
On peut alors considérer ce jeune garçon comme un être vivant dans un espace et un temps placés entre passé et présent – ni entièrement dans le passé ni vraiment dans le présent –. Il s’agit d’un espace-temps déplacé où surgissent événements du présent mélangés aux événements du passé. En fonction des lieux où il se trouve : l'école, la rue, sa maison, il devient la victime de l'apparition des fantômes qui les hantent et qu’il est le seul à pouvoir voir sans trouver les mots qui lui permettraient de témoigner justement de l’expérience qu’il ne cesse de faire. Ainsi, lorsque le professeur demande aux élèves à quoi servait leur école « il y a un siècle », Cole lève timidement la main pour répondre que l’on y pendait les gens ; il affronte alors un regard dérangé par une connaissance déplacée, une connaissance qui ne convient pas à l’enfant qu’il devrait être. Il pourrait être alors perçu comme une forme d'historien omniscient, un témoin total du passé des lieux. Un être qui renouerait avec un passé oublié, douloureux, violent et ce malgré lui, car il n’a jamais voulu être doté de ce sixième sens embarrassant. Il est alors le témoin des vrais témoins, de ceux qui n'ont pas pu témoigner en leur espace et temps, de ceux à qui on a enlevé la parole en parlant à leur place.
Ainsi, Cole Sear peut être considéré comme le malheureux héritier de l'Histoire des vaincus, de l’histoire des opprimés, de ceux que l’on a oublié dans les livres et qui se manifestent à lui pour témoigner aujourd’hui pour enfin livrer leur vérité. Un héritier qui ne peut pas vivre sereinement dans le présent, tant le rapport au passé (du plus proche au plus lointain) de ses contemporains ne relève d’aucune clarté et de la difficulté d’en assumer les conséquences présentes.
Ce personnage serait-il alors une figure prophétique de l'héritier de notre époque contemporaine ? Il s’agit certainement d’un être acculé, écrasé par le poids de l'Histoire, contraint par le rapport tenu entre l’espace-temps auquel il a accès par son sixième sens et l’espace-temps du contemporain dans lequel il vit. Cette contrainte de l’être signe vraisemblablement pour Cole Sear, l’impossibilité d’une vie sereine idéalement dégagée de ce qui a été, tant l’image du passé, de l'Histoire que se fabrique le contemporain est éloigné de la vérité des histoires et est perverti continuellement. Cela souligne finalement l’impossibilité pour le personnage de diriger son regard vers un à venir dont la perspective serait la construction d’un rôle futur ou plutôt, de sa future place lorsqu’il doit répondre de son rapport étroit aux événements historiques, dont il connaît la vérité, en tentant de réduire la distorsion qu’effectue la contemporanéité en marche sur l’Histoire.
Cole Sear apparaît alors comme un héritier qui offre une sépulture, qui met de l'ordre dans les décombres que lui ont laissé ses aïeuls. Malgré lui, son sixième sens l'oblige à voir sur quoi se fonde le présent, et au lieu de le poursuivre en fermant les yeux (car là serait la solution pou lui) il rend justice. Plutôt que de construire sur les ruines et les cadavres que lui ont transmis ses aïeuls, il se fait fossoyeur des vaincus, des histoires négligées pour leur permettre le repos.
1 Sixième sens sorti en 1999, distribué par Buena Vista Pictures
V.D. 2013
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Les visiteurs
A priori, on use des choses du monde, on les pratique en fonction de la manière dont on nous a appris à les pratiquer, à en faire usage, qu’il s’agisse encore d’objets ou d’idées.
Je m'assois sur cette chaise lorsqu'elle est sur ses quatre pieds et non lorsqu'elle est retournée. J'utilise une paire de ciseaux pour découper du papier et non pour agresser quelqu'un. J'achète des tomates pour les manger et non les jeter à la figure d’un autre.
A posteriori on voit bien qu'il n'en est jamais de la sorte. Il n'y a, en effet, pas plus de lois pour faire usage des objets que des idées. Tout est question d'éducation. Tout se retourne ou finit par se faire retourner. Il est toujours possible d'utiliser une chose pour ce qu'elle n'est pas, pour ce dont elle n'est pas faite. Il semble que tout peut être interprété dans une direction, un but précis. Ce geste à ne pas faire, ne pas lire ce qu'il est prévu de faire ou comprendre. Ce geste qui relève d’un détournement, d’une négligence pratiqué par celui qui joue désormais, pourrait être la seule activité nous qui nous reste dans le temps messianique.
C'est un geste que l'on pourrait nommer autrement, une parodie. Un retournement qui ne viserait pas essentiellement à rendre ridicule quelque chose, mais plutôt une parodie multidirectionnelle, qui fonctionnerait à la manière d’une taille de pierre, par façonnage de nouvelles facettes d'autres aspects seraient révélées. Là où le cynisme semble procéder à la destruction d’une part de notre rapport au monde, on choisit justement la reconfiguration de ce rapport en parodiant.
Il pourrait s'agir tout aussi bien d'un prisme, décomposant une entité, une apparente unité recelant encore toutes les nuances d’un seul aspect. Une démultiplication, une décapitalisation de la « fonction », de la « nature » solide et unique d'une chose.
Il est donc question de notre aptitude à retourner ces choses, à pervertir ce qui existe, ou encore de notre incapacité à nous résigner à l'usage conforme et promu des choses du monde, des objets comme des idées, de notre inaptitude à convenir dans une direction précise, prévue pour nous par d'autres, qu'elle soit volontaire ou involontaire.
On peut alors penser qu’interpréter et procéder à un usage différent, au détournement d’une chose de son chemin, agit comme le refus d'être un poursuivant efficace, un sage héritier. Nous sommes toujours encore à relayer ce dont nous héritons. Mais le refus de l’héritage tel qu’il est et le « mauvais usage » que l’on en fait ne doivent pas être perçus négativement mais davantage comme une volonté de poursuivre quelque chose dans une direction non commune, non visité, et parfois non recevable pour les « maîtres » ou les « modèles ».
Le geste, l'activité, le travail artistique, peu importe son nom, procède ainsi d'une parodie du monde, de sa per-version, de sa mise à-côté tout en étant en son sein. Il s’agit d’un déplacement de ce qui est là, du donné, de l'existant et de son ouverture sémantique et sensible, selon différents modes. Une fragmentation des fragments du monde. Une multitude de commentaires, d'énoncés artistiques qui s'accumulent, se produisent, créent une richesse non mesurable, une profusion de points de vue, une banque informelle d'idées, hors des chemins convenus de leur fonction, de leur utilité, de leur efficacité et pour tout dire, hors leur destinée.
Cependant.
V.D in www.chrematistique.fr, 2012
A priori, on use des choses du monde, on les pratique en fonction de la manière dont on nous a appris à les pratiquer, à en faire usage, qu’il s’agisse encore d’objets ou d’idées.
Je m'assois sur cette chaise lorsqu'elle est sur ses quatre pieds et non lorsqu'elle est retournée. J'utilise une paire de ciseaux pour découper du papier et non pour agresser quelqu'un. J'achète des tomates pour les manger et non les jeter à la figure d’un autre.
A posteriori on voit bien qu'il n'en est jamais de la sorte. Il n'y a, en effet, pas plus de lois pour faire usage des objets que des idées. Tout est question d'éducation. Tout se retourne ou finit par se faire retourner. Il est toujours possible d'utiliser une chose pour ce qu'elle n'est pas, pour ce dont elle n'est pas faite. Il semble que tout peut être interprété dans une direction, un but précis. Ce geste à ne pas faire, ne pas lire ce qu'il est prévu de faire ou comprendre. Ce geste qui relève d’un détournement, d’une négligence pratiqué par celui qui joue désormais, pourrait être la seule activité nous qui nous reste dans le temps messianique.
C'est un geste que l'on pourrait nommer autrement, une parodie. Un retournement qui ne viserait pas essentiellement à rendre ridicule quelque chose, mais plutôt une parodie multidirectionnelle, qui fonctionnerait à la manière d’une taille de pierre, par façonnage de nouvelles facettes d'autres aspects seraient révélées. Là où le cynisme semble procéder à la destruction d’une part de notre rapport au monde, on choisit justement la reconfiguration de ce rapport en parodiant.
Il pourrait s'agir tout aussi bien d'un prisme, décomposant une entité, une apparente unité recelant encore toutes les nuances d’un seul aspect. Une démultiplication, une décapitalisation de la « fonction », de la « nature » solide et unique d'une chose.
Il est donc question de notre aptitude à retourner ces choses, à pervertir ce qui existe, ou encore de notre incapacité à nous résigner à l'usage conforme et promu des choses du monde, des objets comme des idées, de notre inaptitude à convenir dans une direction précise, prévue pour nous par d'autres, qu'elle soit volontaire ou involontaire.
On peut alors penser qu’interpréter et procéder à un usage différent, au détournement d’une chose de son chemin, agit comme le refus d'être un poursuivant efficace, un sage héritier. Nous sommes toujours encore à relayer ce dont nous héritons. Mais le refus de l’héritage tel qu’il est et le « mauvais usage » que l’on en fait ne doivent pas être perçus négativement mais davantage comme une volonté de poursuivre quelque chose dans une direction non commune, non visité, et parfois non recevable pour les « maîtres » ou les « modèles ».
Le geste, l'activité, le travail artistique, peu importe son nom, procède ainsi d'une parodie du monde, de sa per-version, de sa mise à-côté tout en étant en son sein. Il s’agit d’un déplacement de ce qui est là, du donné, de l'existant et de son ouverture sémantique et sensible, selon différents modes. Une fragmentation des fragments du monde. Une multitude de commentaires, d'énoncés artistiques qui s'accumulent, se produisent, créent une richesse non mesurable, une profusion de points de vue, une banque informelle d'idées, hors des chemins convenus de leur fonction, de leur utilité, de leur efficacité et pour tout dire, hors leur destinée.
Cependant.
V.D in www.chrematistique.fr, 2012
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sur l'accélération du temps
Je pense qu'il n'y a pas de réelle nostalgie, ou peut-être qu'elle est justifiable. Je crois qu'il s'agit d'une appellation posée par celui qui marche droit sans se retourner, qui ne regrette rien. Celui qui marche et qui ne se demande pas de quoi est faite la route sur laquelle il avance. Tout compte fait peu importe de qui il s'agit. Il n'y a pas de meilleure ou de pire époque, il y a juste que, le vivre dans le présent ou le maintenant, nous pose une assez grande énigme, d'autant plus que le présent n'est jamais très loin du passé. Quoique l'espèce humaine ait pu trouver comme solution, subterfuge pour gérer son temps et le temps des autres, cette énigme de l'être qui commence et qui finit à un moment donné, au sein d'un communauté, d'un système politique qui a une Histoire, reste tout autant mystérieuse.
L'actuel système politique occidental, désormais dominant dans la gestion du temps et aussi de l'espace sur une grande partie la planète, est justement intéressant dans la mesure où il s'est posé comme modèle dans des sociétés différentes et lointaines. Avec le temps, peut-être pourra t-on alors parler vraiment en termes universaux, tant le processus de mondialisation est puissant et rapide, avec cependant des résistances importantes à ce modèle.
En considérant de plus près ce système politique, il est intéressant de regarder la relation au temps à laquelle nous sommes confrontés – ou encore, la relation que ce système entretient avec présent et passé – .
Nous sommes maintenant rivés au présent, incroyablement acculés à un présent/futur insaisissable et bondé ; une grande salle de spectacle. Les perspectives du progrès, de la croissance, les critères de la nouveauté, de l'immédiateté, du neuf provoquent tous réunis un étrécissement du temps et donc de la perception que nous en avons. Le présent diminue, devient un temps rare, difficilement approchable tandis que le passé arrive de plus en plus vite. De nouvelles informations, de nouveaux objets, de nouvelles images sont données, montrées, vendues tandis que nous n'avions pas digérés les derniers produits qui sont alors directement relégués au passé. Ils prennent le statut de chiffons. Si comme je l'ai dit, le présent devient un temps rare, fuyant, de par la permanente production de fonds et de formes, un temps avec lequel il est presque impossible d'être en phase, c'est aussi le temps le plus fort, qui a pris toute l'attention. Il ne s'agit pas là d'un innocent présent, du présent du bon vivant, mais d'une temporalité fondée sur le renouvellement permanent des marchandises, de leur vente, et sur l'immédiateté supposément infinie qui ne laisse pas de répit. Pas de répit, pour assimiler la masse de biens produits sans cesse renouvelée et actualisée, masse de biens dont la qualité ne peut évidemment pas suivre l'énorme quantité produite. Pas de répit encore accordé à notre sensibilité, à notre aître profond pour réellement s'adapter. Nous pouvons à présent dire à chaque minute que nous sommes en retard sur notre temps. Cette nouvelle condition, de l'être rivé au présent, à l'actuel, induit alors un difficile travail de la mémoire, qu'il s'agisse d'un passé lointain ou d'un passé proche, mais aussi bien, d'un difficile travail de transmission. Vu d'ici et d'aujourd'hui, les gigantesques bouleversements industriels, technologiques, politiques, culturels des XIXème et XXème siècles sembleraient s'être déroulés sans grands troubles, plus ou moins paisiblement. Ils sont rangés dans les livres d'histoires, comme assimilés, domptés, loin de nous, comme des chiffons délavés. C'est pourtant bien contestable. Ces deux derniers siècles, foyers les plus proches (et déjà si lointains) de notre système politique, semblent enfermés dans des vases clos, dont seuls quelques historiens, étudiants et spécialistes viennent encore fouiller nos chiffons sales.
Bien qu'il soit nécessaire de savoir vivre dans le temps du présent et donc de se tenir vers le devant, il semble qu'on le fasse parfois un peu vite ou que les générations suivantes soient étrangement coupées de ce passé, transmis comme une carte postale, une photo-souvenir, quelques mots. Aussi les avancées technologiques, le progrès, apparaissent davantage comme des choses acquises, installées, comme des fantasmagories.
Cette accélération accrue du temps, cet étrécissement du présent, et donc de notre existence dans ce présent, pourrait alors justifier une certaine forme de nostalgie. Cependant cette nostalgie ne m'intéresse pas ici. Je considère davantage la possibilité d'un état de pensée qui s'interroge sur ce qui a été dé-passé, ce qui a été laissé, les décombres, les fondations sur lesquels le présent s'installe. Mais il s'agit aussi d'un état de pensée qui considère que notre présent n'est pas fondamentalement plus moderne avec sa technologie et sa science qu'il y a 200 ans.
Je ne considère pas que se retourner sur des temps historiques datés, des styles musicaux passés, des mouvements artistiques déchus, déjà explorés, constitue en soi un geste nostalgique, mais qu'il s'agit plutôt d'un geste de ralentissement, de freinage face à cette accélération permanente. Il s'agit alors d'un regard en arrière curieux, sur ce qui s'est passé, sur ce que les gens ont vécu, sur ce qu'ils ont fait. Il s'agit alors de considérer ce qu'on appelle l'Histoire comme un livre ouvert et disponible à la visite et à la découverte et non essentiellement comme une frise où les événements s'enchaînent sans liens les uns aux autres. La culture de l'avant et du maintenant, du vieux et du neuf, induit aussi la relégation de techniques, de technologies, de pratiques, de savoirs au musée d'histoires, et donc à leur considération en tant que formes archaïques, parfois obsolètes.
Ce retournement, ce questionnement des choses du passé proche ou lointain, pose aussi la question de la transmission à nos possibles héritiers, aux autres générations. Que restera t-il de nous ? Cela importe t-il ?
VD, 2012
Je pense qu'il n'y a pas de réelle nostalgie, ou peut-être qu'elle est justifiable. Je crois qu'il s'agit d'une appellation posée par celui qui marche droit sans se retourner, qui ne regrette rien. Celui qui marche et qui ne se demande pas de quoi est faite la route sur laquelle il avance. Tout compte fait peu importe de qui il s'agit. Il n'y a pas de meilleure ou de pire époque, il y a juste que, le vivre dans le présent ou le maintenant, nous pose une assez grande énigme, d'autant plus que le présent n'est jamais très loin du passé. Quoique l'espèce humaine ait pu trouver comme solution, subterfuge pour gérer son temps et le temps des autres, cette énigme de l'être qui commence et qui finit à un moment donné, au sein d'un communauté, d'un système politique qui a une Histoire, reste tout autant mystérieuse.
L'actuel système politique occidental, désormais dominant dans la gestion du temps et aussi de l'espace sur une grande partie la planète, est justement intéressant dans la mesure où il s'est posé comme modèle dans des sociétés différentes et lointaines. Avec le temps, peut-être pourra t-on alors parler vraiment en termes universaux, tant le processus de mondialisation est puissant et rapide, avec cependant des résistances importantes à ce modèle.
En considérant de plus près ce système politique, il est intéressant de regarder la relation au temps à laquelle nous sommes confrontés – ou encore, la relation que ce système entretient avec présent et passé – .
Nous sommes maintenant rivés au présent, incroyablement acculés à un présent/futur insaisissable et bondé ; une grande salle de spectacle. Les perspectives du progrès, de la croissance, les critères de la nouveauté, de l'immédiateté, du neuf provoquent tous réunis un étrécissement du temps et donc de la perception que nous en avons. Le présent diminue, devient un temps rare, difficilement approchable tandis que le passé arrive de plus en plus vite. De nouvelles informations, de nouveaux objets, de nouvelles images sont données, montrées, vendues tandis que nous n'avions pas digérés les derniers produits qui sont alors directement relégués au passé. Ils prennent le statut de chiffons. Si comme je l'ai dit, le présent devient un temps rare, fuyant, de par la permanente production de fonds et de formes, un temps avec lequel il est presque impossible d'être en phase, c'est aussi le temps le plus fort, qui a pris toute l'attention. Il ne s'agit pas là d'un innocent présent, du présent du bon vivant, mais d'une temporalité fondée sur le renouvellement permanent des marchandises, de leur vente, et sur l'immédiateté supposément infinie qui ne laisse pas de répit. Pas de répit, pour assimiler la masse de biens produits sans cesse renouvelée et actualisée, masse de biens dont la qualité ne peut évidemment pas suivre l'énorme quantité produite. Pas de répit encore accordé à notre sensibilité, à notre aître profond pour réellement s'adapter. Nous pouvons à présent dire à chaque minute que nous sommes en retard sur notre temps. Cette nouvelle condition, de l'être rivé au présent, à l'actuel, induit alors un difficile travail de la mémoire, qu'il s'agisse d'un passé lointain ou d'un passé proche, mais aussi bien, d'un difficile travail de transmission. Vu d'ici et d'aujourd'hui, les gigantesques bouleversements industriels, technologiques, politiques, culturels des XIXème et XXème siècles sembleraient s'être déroulés sans grands troubles, plus ou moins paisiblement. Ils sont rangés dans les livres d'histoires, comme assimilés, domptés, loin de nous, comme des chiffons délavés. C'est pourtant bien contestable. Ces deux derniers siècles, foyers les plus proches (et déjà si lointains) de notre système politique, semblent enfermés dans des vases clos, dont seuls quelques historiens, étudiants et spécialistes viennent encore fouiller nos chiffons sales.
Bien qu'il soit nécessaire de savoir vivre dans le temps du présent et donc de se tenir vers le devant, il semble qu'on le fasse parfois un peu vite ou que les générations suivantes soient étrangement coupées de ce passé, transmis comme une carte postale, une photo-souvenir, quelques mots. Aussi les avancées technologiques, le progrès, apparaissent davantage comme des choses acquises, installées, comme des fantasmagories.
Cette accélération accrue du temps, cet étrécissement du présent, et donc de notre existence dans ce présent, pourrait alors justifier une certaine forme de nostalgie. Cependant cette nostalgie ne m'intéresse pas ici. Je considère davantage la possibilité d'un état de pensée qui s'interroge sur ce qui a été dé-passé, ce qui a été laissé, les décombres, les fondations sur lesquels le présent s'installe. Mais il s'agit aussi d'un état de pensée qui considère que notre présent n'est pas fondamentalement plus moderne avec sa technologie et sa science qu'il y a 200 ans.
Je ne considère pas que se retourner sur des temps historiques datés, des styles musicaux passés, des mouvements artistiques déchus, déjà explorés, constitue en soi un geste nostalgique, mais qu'il s'agit plutôt d'un geste de ralentissement, de freinage face à cette accélération permanente. Il s'agit alors d'un regard en arrière curieux, sur ce qui s'est passé, sur ce que les gens ont vécu, sur ce qu'ils ont fait. Il s'agit alors de considérer ce qu'on appelle l'Histoire comme un livre ouvert et disponible à la visite et à la découverte et non essentiellement comme une frise où les événements s'enchaînent sans liens les uns aux autres. La culture de l'avant et du maintenant, du vieux et du neuf, induit aussi la relégation de techniques, de technologies, de pratiques, de savoirs au musée d'histoires, et donc à leur considération en tant que formes archaïques, parfois obsolètes.
Ce retournement, ce questionnement des choses du passé proche ou lointain, pose aussi la question de la transmission à nos possibles héritiers, aux autres générations. Que restera t-il de nous ? Cela importe t-il ?
VD, 2012